Nguyen Phan Chanh, 1930-31, « La Pâtisserie » ou « Les Dieux sont amoureux »
« La Pâtisserie » appartient au petit groupe des œuvres sublimes, très rares, que le peintre exécute entre 1929 et 1932.
La calligraphie chinoise en haut à gauche nous date l’œuvre de « l’année du Cheval, l’hiver ». Soit entre le 30 janvier 1930 et le 16 février 1931. L’hiver commence à Hanoi (où le tableau a été peint) vers novembre, notre tableau a donc pu être peint en novembre ou décembre 1930 mais aussi en janvier et jusqu’au 16 février 1931. Le cachet « Hong Nan » du peintre, l’inscription « Hong Nan » et la signature du peintre occupent le haut gauche de l’œuvre tandis que le haut droit nous gratifie d’un court poème. Au dos, un tampon en encre noir figure en chinois et en quoc ngû, le nom (probablement de l’encadreur) « Tham-Tho Boi Chanh » et son adresse « 56 rue de Bac Ninh, Hanoi ».
En 1931 le capitaine Jacques Leboiteux accompagne en Indochine en qualité d’officier d’ordonnance le Ministre français des Colonies, Paul Reynaud. Il y acquiert l’œuvre qui sera conservée dans la famille jusqu’à ce jour.
« La Pâtisserie » réunit comme toutes les œuvres tôt du peintre une succession d’aplats de gouache et d’encre sur soie de tons différents. Des camaïeux de brun et de marron clair se répondent l’un l’autre pour nous offrir un tableau d’une exceptionnelle qualité. La construction en multiples triangles (les deux jambes du pantalon et la coiffe en noir d’encre, les deux pieds et le visage crème, l’écartement des pieds, l’éventail lui-même) que viennent scander les ronds et les hémisphères (le récipient rempli de braises, la crêpe en cuisson, le récipient, à droite où les crêpes cuites s’entassent. On notera la stylisation des objets : les jarres-vasques ne sont pas réalistes, comme ne l’est pas le feu sous la crêpe, ni le charbon de bois.
Nguyen Phan Chanh est le peintre de la simplicité mais d’une simplicité qui n’empêche pas la distinction comme en témoigne cette jeune femme au visage et à la pose d’une grande noblesse. Comme toujours le peintre décrit une tache simple, ici la fabrication d’une crêpe de riz qu’il érige en une fonction noble.
Le geste qui agite l’éventail, abondant l’air au brasier en dessous nous montre que la crêpe de riz est l’élément le plus important du tableau.
Ce que nous affirme le poème en haut à droite, d’une forte calligraphie :
« La couleur du grain est jaune clair
Même les dieux sont amoureux de la pâtisserie »
Nguyen Phan Chanh fait du grain de riz et de sa transformation par l’humble jeune femme en crêpe l’objet de l’amour des dieux.
Simplicité du plaisir et plaisir de la simplicité. Mais une simplicité divine : tout l’esprit de Nguyen Phan Chanh.
Notons également la touche discrète, en quadrilatère, crème et bleutée qui, pudiquement, dévoile la peau et les dessous de la jeune femme, que rend apparents sa position accroupie. On la retrouve dans « La Vendeuse de Bétel » (1931) de la collection Tholance-Lorenzi. En 1933, le peintre proposera une œuvre beaucoup plus colorée « La Jeune Fille au Perroquet » d’une collection française. Comme elles, « L’Enfant à l’Oiseau » de la collection Morax, et notre pâtissière sont représentées seules.
Mais Nguyen Phan Chanh sait aussi figurer un groupe comme dans « La Marchande de Riz » d’une collection britannique ou dans « Le Jeu des Cases Gagnantes » de la collection Tuan Pham, dans « La Marchande de Oc’ » d’une collection britannique ou encore avec « Les Teinturières » d’une collection française et « Les Couturières » de la collection Jean-Marc Lefèvre.
Oui, « Les dieux sont amoureux“ mais Nguyen Phan Chanh sait faire de ces (ses) humbles personnages du Tonkin des épicuriens de la simplicité.
Jean-François Hubert