Tran Dzu Dhong – Scène de Truyen Kieu
La laque que nous présentons ici est exceptionnelle par son histoire, son thème et sa technique.
Exécutée par le grand artiste Tran Dzu Dhong pendant deux années complètes en 1961-62 elle fut l’objet d’une commande de l’ancien président vietnamien Ngo Dinh Diem. Celui-ci, ultra nationaliste, avait décidé, dès la fin des années 60, de faire des commandes à certains artistes de qualité afin d’orner les palais nationaux ou d’honorer certaines personnalités de choix, souvent étrangères. Telle devait être la destinée de cette œuvre. L’assassinat de Ngo Dinh Diem en 1963 mit fin au projet.
Rachetée ensuite par un militaire américain, elle réapparait aujourd’hui sur le marché pour le bonheur de tous.
Les thèmes en sont ce qui pourrait être la quintessence de la civilisation vietnamienne : en effet, devant ce qui pourrait être le temple de la littérature, le « van Mieu-Quoc Tu Giam » fondé en 1070 à Hanoi, sont figurées ce qui apparaît comme étant les deux sœurs du Kiêu écrit par Nguyen Du (1765-1820). Tout Vietnamien connaît le « Kiêu » narrant l’histoire de cette jeune fille, Kiêu fiancée à Kim, qui se vend pour sauver ses parents car la piété filiale passe avant l’amour. Après une vie d’aventures, Kiêu est sauvée par une religieuse et retrouve Kim maintenant marié à sa sœur Van à qui elle avait demandé jadis de la remplacer. Kiêu vivra en ami auprès du couple.
Le grand livre dont tout vietnamien peut citer au moins quelques vers semble bien avoir inspiré notre artiste. Mais n’allons pas au-delà, ni Thuy Van, ni Thuy Kiêu si ce sont elles ne correspondent aux canons de l’oeuvre : certes, Kiêu semble jouer de la cithare pour Kim Trong après que celui-ci, selon le roman, lui ait dit :
« Votre cithare est partout renommée par les monts et les fleuves, j’espérais en vain de l’entendre. »
Mais le traitement de son visage (notamment le maquillage des lèvres et la coiffure) est loin des canons confucianistes du Kiêu. De même celle qui pourrait être Thuy Van, se lance dans une danse sensuelle qui s’éloigne de l’œuvre de Nguyen Du. Les autres motifs sont aussi mystérieux : le livre ouvert ou le Phoenix, veulent-ils symboliser qu’à l’aune d’une connaissance nouvelle, le phoenix renaîtra de ses cendres ?
Enfin, la laque, de très grande dimension, voit sa surface totalement occupée par des motifs décoratifs variés et un grand nombre de couleurs. Sa forme en pétale de lotus, symbole bouddhique, est aussi une réminiscence de ces mandorles où venaient s’adosser les divinités Cham. C’est donc un héritage culturel que célèbre Tran Dzu Hong, celui du Vietnam millénaire bouddhiste, confucianiste aux héroïnes féminines, mais un héritage qu’il veut voir fructifier. Le mouvement, la jeunesse doivent y prendre leur place. Les années futures verront que les bouleversements sont à venir.
Dans cette laque monumentale, si brillante, si interrogative, l’artiste a su utiliser la technique de la laque à son sommet. Celui qui fut professeur au Gia Dinh Art College de 1958 à 1975 sait y mettre tout son talent. Non seulement sa technique d’exécution est parfaite mais il sait utiliser tous les moyens qu’offrent cette technique ,en termes de couleurs, variées aux tons multiples, d’applications d’or, de « coquille d’oeuf ».
Unique, messianique, stimulante, monumentale, cette laque superbe de Tran Dzu Hong, est une oeuvre majeure de l’art pictural vietnamien.
Jean-François Hubert