Vu Cao Dam et la tentation de l’Occident « Couple » – 1945
Bien que cette peinture représente à l’évidence un homme et une femme – un des sujets favoris de Vu Cao Dam (souvent inspirés du Kim Van Kiêu ) – les 3 couleurs essentielles de l’oeuvre (bleu-blanc-rouge) celles de la France, ne semblent pas sans signification politique si l’on se concentre sur la date d’exécution du tableau : 1945.
Une année fondamentale, tant par le contexte historique de l’époque, que par l’évolution personnelle corrélative du peintre.
Michel Vu, le fils de Vu Cao Dam a bien voulu nous préciser le contexte particulier de ce tableau : « de 1942 a 1946, j’ai habité à Marsilly, avec ma mère et ma sœur à une centaine de kilomètres de Paris. Mon père venait nous voir régulièrement à bicyclette » : pendant les difficiles années de guerre l’artiste vit seul à Paris car il a préféré déplacer sa famille dans une zone de moindre pénurie. Seule l’élaboration de son œuvre doit le préoccuper.
En France depuis déjà 14 ans (il est arrivé en 1931) Vu Cao Dam ne cesse de perfectionner sa technique tant celle du peintre que du sculpteur.
Mais un grand artiste est toujours le témoin moral de son temps : la victoire sur la barbarie nazie en cette année 1945, l’apaisement que commence à retrouver la France le galvanisent.
Vu Cao Dam n’est pas un voyageur passif mais un chantre de l’altérité. Une altérité guidée. En témoigne cette œuvre : le trait est ferme, les couleurs de la gouache plus prononcées que d’habitude. Les constructions au fond restent tonkinoises ; l’ao dai de la femme, la tunique de l’homme, les coiffes sont vietnamiennes.
Mais la main gauche, affectueuse, presque conquérante de la femme défie la règle de bienséance confucéenne du Vietnam. La transmutation s’opère chez l’artiste : le geste devient occidental – chez lui – et cette jeune femme en est l’interprète.
« Couple », peinture majeure vient illustrer les propos du peintre lui-même qu’il aimait à répéter (avec quelques variantes…) de sa voix douce :
« De nos jours les représentations multiculturelles et multiethniques sont dans l’air du temps mais je crois avoir été un des premiers, dans mon travail, à concilier mes racines orientales, sans en bouleverser la tradition, avec la perception des leçons acquises en étudiant les Maîtres de la culture occidentale ».
Jean-François Hubert