Le Pho : le confucianiste émancipé
La représentation d’un couple reste rare dans l’oeuvre de Le Pho.
Celui-ci, orphelin très jeune, fut un constant laudateur des femmes, un amoureux de la nature et a représenté essentiellement des Maternités douces, des femmes belles et élégantes, des bouquets de fleurs (juste cueillies, selon son propre témoignage).
Cette très belle oeuvre sur soie nous propose un couple d’amoureux dans un environnement de branches de figuier. Leurs maintien et environnement ne sont pas indifférents : si les vêtements et coiffures de l’une et de l’autre sont traditionnels, le peintre se refuse à donner à cette femme une stricte place confucéenne, celle qui devait être la sienne à l’époque dans le milieu mandarinal de Le Pho : la soumission n’est plus de mise et la figure centrale qui s’impose du tableau est bien cette femme aux traits du visage doux mais affirmés, aux seins saillants sous l’ao dai, au geste prompt à enserrer le feuillage qui forme comme une haie de séparation avec l’observateur.
On notera également – comme si le peintre ne voulait pas dissiper l’observateur – l’absence de fleurs et le fond uniforme. L’homme, en retrait, est plus captivé que confiant, plus demandeur que rassuré : c’est lui qui a besoin de cette femme et non l’inverse.
Le message de Le Pho est clair : l’amour dépasse l’autorité, la femme est l’égale de l’homme et l’individu prime sur la société.
Plus généralement, pour Le Pho, la vieille société mandarinale se meurt et la révolution artistique est bien plus importante que la réforme politique. Le peintre vote avec son pinceau. Et lorsque il peint cette oeuvre, Le Pho pressent déjà qu’il ne rentrera pas au pays natal. Quelques années plus tard, toujours à Paris, il rencontrera Paulette qui lui donnera 55 ans de bonheur…
Homme de conviction, Le Pho, nous rappelle Cao Ba Nha (mort en 1862) -qui, lui, à l’opposé resta fidèle aux principes confucéens mais en porta les stigmates :
Tristesse de mon coeur, ô patrie, ô famille
Le site demeure le même mais l’homme ancien n’est plus
Cao Ba Nha, extrait du Tu tinh khuc
Jean-François Hubert