Nguyen Phan Chanh: « L’Enfant à l’oiseau »
Lorsque Jean Tardieu, le fils de Victor Tardieu – créateur de l’École des Beaux Arts de Hanoi (1924) – se voit commander un article pour le numéro spécial « Noël 1932 » de « L’ Illustration » – le plus célèbre magazine français de l’époque, avec un tirage de 600 000 exemplaires… -il choisit d’ y faire figurer 4 tableaux de Nguyen Phan Chanh, tous envoyés en France en 1931 dans un but de promotion du nouvel art pictural vietnamien qui se constitue : « La sorcière », « La jeune fille lavant des légumes », celui qu’il titre erronément « Les ébats des enfants » et notre « L’ Enfant à l’oiseau » .
La revue n’omet pas de préciser le nom des collectionneurs, acquéreurs visionnaires de ces chefs d’oeuvre, nommément M. Pierre Massé, le Dr Montel et, pour notre tableau, le Docteur Morax, grand ami d’Alexandre Yersin, un amoureux du Vietnam s’il en fut.
Victor Tardieu avait très vite compris que pour que le talent de ses élèves soit publiquement reconnu, il fallait qu’après la forte impulsion institutionnelle, absolument décisive, que fut la création de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine à Hanoi en 1924, s’installe une relation forte avec un public de connaisseurs. D’où les expositions organisées à Hanoi, au sein même de l’École des Beaux-Arts et l’encouragement à diverses institutions mettant en contact artistes et collectionneurs.
Une note manuscrite-au dos de l’oeuvre-, très émouvante, de la main même de Victor Tardieu, adressée au Docteur Morax, nous renseigne sur l’importance de l’achat :
« (…) élèves la-bas je saurai leur dire quel honneur vous leur avez fait en vous intéressant à leurs tentatives , honneur dont moi-même je sens tout le prix. Veuillez, je vous prie, présenter mes respectueux hommages à Madame Morax et croire cher Docteur à mes sentiments les plus distingués »
Fidèle à la quintessence de son oeuvre – qui vise a magnifier un Vietnam éternel où la simplicité quotidienne tient lieu de sagesse éternelle -, le peintre nous livre ici un enfant dont le visage nous reste inconnu car le véritable sujet du tableau est dans cet oiseau dans sa cage d’osier que l’enfant semble nourrir ou titiller à travers les barreaux.
Les masses d’encre noire (jambes , cuisses et coiffe) composent ce triangle qui construit les oeuvres de Nguyen Phan Chanh. La gouache dans ces tons marrons si caractéristiques de l’auteur vient compléter le chef d’oeuvre de l’artiste.La scène est d’intérieur ce qui est rare dans les oeuvres tôt de l’artiste et exprime une mélancolie qu’incarne l’oiseau chanteur mais … prisonnier.
Avec son montage d’origine – la hauteur de la bordure supérieure étant supérieure à la bordure inférieure -, son cadre Gadin d’origine (du nom de l’encadreur parisien) et son aspect japonisant laqué, “L’Enfant à l’oiseau” est un des chefs d’oeuvre de Nguyen Phan Chanh.
Jean-François Hubert