La quête de l’authentification dans la peinture vietnamienne : l’exemple de « La Dame de Hue » de Le Van De
Le peintre :
Le Van De est un peintre né à Ben Tre, au sud de Saigon. Un détail important si l’on considère que la plupart des peintres vietnamiens reconnus qui ont fréquenté l’école des beaux-arts de Hanoi sont originaires du Nord. Juste après l’obtention de son diplôme de premier cycle (1925-1930), Le Van De se rend à Paris en 1931 pour poursuivre ses études à l’École des Beaux-Arts de la Ville. Comme il vient du Sud, c’est aussi un catholique dévot qui, très tôt, s’est particulièrement intéressé à Rome, le centre mondial du catholicisme.En 1936, il reçoit le premier prix de l’exposition « World Catholic Press Exhibition » à Rome et est également invité à décorer l’intérieur du Vatican.
En 1945-1946, il est pris dans la guerre civile à Hanoi. Après la partition du Vietnam en 1954 entre le Nord communiste et le Sud nationaliste, il émigre vers le Sud – comme 800 000 catholiques – où il devient directeur du « Saigon Fine Art College ». Il meurt à Saigon en 1966 sans avoir mis les pieds une seule fois dans le nouveau Nord communiste.
Le tableau :
Il reflète au mieux le travail du maître : la belle femme incarne Hue, la ville impériale, avec sa grande élégance vêtue de ses vêtements traditionnels. C’est une véritable expression de l’attrait de Le Van De pour la tradition et la distinction. Par son travail, il dépeint entièrement le style de vie qui prévalait dans le Vietnam ancestral en montrant sa maîtrise dans son utilisation de la gouache et de l’encre sur soie couchée sur le papier. La douceur de son coup de pinceau, l’utilisation de tons subtils caractérisent parfaitement sa production d’après-guerre. En bas à droite, une très belle calligraphie en lettres romanisées et en caractères chinois (ou sino-vietnamiens) indique la date et le lieu de l’œuvre : Hanoi 1945. Pour garder l’accent sur l’élégante dame, l’arrière-plan est discret avec ses traits de crayon léger qui donnent une impression d’espace sans surcharger la composition. Même les rideaux autour de la fenêtre sont à peine suggérés. La soie est en assez bon état, les couleurs bien conservées et l’encre décolorée de la signature et des notes en bas à droite montre l’âge du tableau.
L’œuvre présentée ici dispose de toutes les caractéristiques artistiques, techniques et historiques connues du peintre. Il est rare de trouver des œuvres en peinture moderne vietnamienne d’une origine aussi intéressante et d’une authentification aussi solide.
Pour garder l’accent sur l’élégante dame, l’arrière-plan est discret avec ses traits de crayon léger qui donnent une impression d’espace sans surcharger la composition. Même les rideaux autour de la fenêtre sont à peine suggérés. La soie est en assez bon état, les couleurs bien conservées et l’encre décolorée de la signature et des notes en bas à droite montre l’âge du tableau.
L’œuvre présentée ici dispose de toutes les caractéristiques artistiques, techniques et historiques connues du peintre. Il est rare de trouver des œuvres en peinture moderne vietnamienne d’une origine aussi intéressante et d’une authentification aussi solide.
L’authentification.
En effet, jusqu’à ces dernières années, en raison des guerres, des délocalisations ainsi que d’un faible intérêt pour le marché de cet art, il est difficile et rare de retrouver la provenance de la plupart des œuvres.
Mais, le tableau présenté ci-dessus a été authentifié par une lettre manuscrite, datée du 5 juin 1992 par Diep Minh Chau.
La traduction de cette lettre est la suivante :
Je connais Le Van De qui vit à Hanoi depuis 5 ans. Il peint d’habitude par Ha Dong Silk.Il a probablement utilisé de la soie Ha Dong – ce tableau a été peint avec ce type de soie. J’ai réalisé que c’était vraiment le style de De. La disposition de la peinture était très douce, le visage était si charmant mais froid, les mains étaient délicates
Signé, daté et localisé : Ho Chi Minh 5/6/92, Diep Minh Chau
Né à Ben Tre comme Le Van De, il est diplômé de l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Indochine, fait partie de la quinzième promotion d’étudiants (1940-1945), étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Prague (1951-1955) et devient professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Hanoi.
Diep Minh Chau jouit d’une excellente et incontestable réputation basée sur sa formation, son honnêteté et son parcours impeccable, reconnu comme un homme qui refuse tout compromis. Et jamais aucun de ses papiers ou de ses paroles n’a été remis en question.
Pourquoi l’authentification peut être un processus si compliqué ?
Depuis ma première visite en 1995, je sais que le Musée des Beaux-Arts de Hanoi expose une copie de ce tableau. La qualité du travail est généralement mauvaise : le vieillissement artificiel est évident au point qu’il n’est plus certain que le faussaire n’ait jamais vu l’œuvre originale et qu’il ait choisi de la masquer à l’aide de techniques d’usure artificielle. La partie inférieure gauche est particulièrement évidente : le faussaire a évité de copier l’écriture dans le coin inférieur droit en la recouvrant, l’encre vieillissante est en effet une partie difficile à cacher.
Encore une fois, je me suis rendu personnellement en mai 2016 au Musée de Hanoi et je ne peux que confirmer radicalement mon opinion : ce n’est pas seulement un faux, c’est aussi un mauvais faux qui y est exposé.
La controverse autour des œuvres du Musée des Beaux-Arts de Hanoi n’est pas récente. Certains ont essayé de voir cela comme une conséquence de la guerre : en ce sens, Seth Mydans a écrit un article le 31 juillet 2009 dans le New York Times intitulé « A Legacy of War, Fake Art in Vietnam« .
Le journaliste commence son article par cette phrase percutante :
« Même le directeur du Musée des Beaux-Arts du Vietnam ne sait pas combien d’œuvres d’art et d’artefacts dont il a la charge sont authentiques et combien sont des copies extrêmement savantes. »
Le directeur du musée, M. Binh feint de voir un problème lié à la guerre et un moyen d’assurer la protection des peintures contre les bombardements américains :
« Pour les remplacer sur les murs du musée, il en a commandé des copies : certaines par les artistes originaux, d’autres par les apprentis des artistes et d’autres encore par des copistes qualifiés du service de restauration du musée. C’étaient de brillantes reproductions – ou variantes, comme les Vietnamiens appelaient ces peintures copiées par les artistes originaux. »
Comme on peut le voir, le problème n’est pas récent, d’ailleurs la création du Musée en 1965 a été le début de cette crise de l’authentification.
L’œuvre de Le Van De en est un parfait exemple : comment peut-on imaginer qu’un peintre catholique anticommuniste, vivant dans le Sud depuis 1954, à une époque où la frontière entre le Sud et le Nord était totalement fermée, ait pu donner certaines de ses œuvres au Musée ?
Le Musée peut-il fournir une preuve de la provenance de l’œuvre ?
Par exemple, un collectionneur qui a eu l’œuvre de Le Van De de 1945 à 1965 ?
Terminons avec les propres mots de M. Diep cités par le directeur :
« Depuis l’ouverture du musée, nous avons eu à la fois des originaux et des copies « , a déclaré M. Diep, qui travaille au musée depuis 28 ans. Maintenant, même le personnel n’est pas sûr de ce qui est authentique. »
Jean-François Hubert