Vu Cao Dam, « Pivoines », 1957 ou le souvenir à vivre

6 novembre 2024 Non Par Jean-François Hubert

Pivoines” est une œuvre rare, une huile sur panneau (65X 50cm) exécutée à un moment charnière de la vie du peintre, qui nous renseigne sur sa technique et sa philosophie particulière.

I.  L’œuvre rare d’un homme apaisé et d’un artiste stimulé

A. Une œuvre rare :

Vu Cao Dam a peint peu de fleurs dans son œuvre, privilégiant la représentation d’êtres humains ou mythiques, de divinités et, occasionnellement d’animaux (coqs, chevaux…) Outre des pivoines, il peint des chrysanthèmes, des glaïeuls, des liliums et des pavots.

B. Un homme apaisé et un artiste stimulé :

La ville de Vence où il s’est installé – venant de Béziers avec sa famille en juillet 1952 – lui plaît.

De brillants artistes en imprègnent l’atmosphère, de Matisse et sa chapelle (achevée en 1951), à Chagall, son voisin et ami, parmi d’autres.

Sa santé s’est bien améliorée, comme celle de Michel son fils.

La guerre du Vietnam qui le souciait tant a pris fin 3 ans plus tôt.

Les collectionneurs sont plus nombreux. Cette même année 1957 le voit exposer à La Chaux de Fonds et à Langenthal en Suisse.

Apaisé, Vu Cao Dam est aussi stimulé.

Si ses années précédentes avaient déjà été fécondes en recherches diverses notamment sur les pigments (jusqu’à l’usage du Caparol), sur les différents matériaux, et jusqu’au reflet des verres qui recouvrent ses gouaches et encre sur soie, l’apaisement retrouvé, l’ambiance artistique du lieu, favorisent sa créativité. Dont témoigne excellemment  son « bouquet de fleurs » pour lequel Vu Cao Dam utilise l’huile, un médium qu’il conservera pendant tout son contrat avec la galerie Wally Findlay à partir de 1963.

II.  Une technique et une approche du monde particulières

A. Une technique bien particulière :

Le Pho, son condisciple et l’ami d’une vie, pour peindre des fleurs, les voulait fraîchement coupées, le plus souvent d’espèces différentes et les plaçait généralement dans un vase qui constitue un élément important de la composition du tableau. Comme l’est la table soutenant le vase ou les différents objets (livres, revues, céramiques, étoffes, etc.) disposés autour

Ici, chez Vu Cao Dam, pas de vase, ni même de terre. Aucun objet autour. Pas de table ou de décor.

Les fleurs, seules. Des pivoines, rien d’autre.

Servies par une technique originale. En effet l’artiste plaçait les fleurs une à une dans des bouteilles différentes afin que chacune d’entre elles apparaisse dans une position vivante, à l’inverse du bouquet qui, lui, de fait, représente une plante défunte.

Il faut y voir, bien sûr, la sensibilité propre du sculpteur immense qu’il fut, ne se satisfaisant pas des limites de la double dimension de la peinture, et toujours en quête de la troisième dimension de la sculpture mais y saisir aussi l’affirmation d’une philosophie.

B. Une philosophie du temps retrouvé

« Mon père avait une culture artistique immense. Quand il étudiait il avait une carte de l’Ecole du Louvre qui lui offrait un accès gratuit au musée Guimet et au musée du Louvre » nous commente Michel Vu le fils de l’artiste (communication particulière, 18 octobre 2024).

Grand lecteur et grand visiteur, d’une érudition rare, Vu Cao Dam ne pouvait pas ne pas avoir contemplé les « Fleurs dœillets », une encre et couleurs sur soie de 1314 de Qian Xuan (1235- vers 1300-1305) conservée au Musée Guimet et l’huile sur toile de 1640 de Jan Davidz De Heem (1606-1684) « La Desserte » au Musée du Louvre. S’il est sensible à la volonté du premier, fidèle à la grande tradition chinoise, de “prendre part aux ”gestes” mêmes de la Création” (François Cheng) et à l’expression du second, chantre d’un genre européen alliant fugacité de la vie, luxe et (parfois) exotisme ,Vu Cao Dam veut donner lui-même un “souffle” à ses fleurs et considère tout écrin comme superflu.

Le fond, non uniforme, où est appliqué par touches vives un vert d’eau et un bleu clair en bas de l’œuvre qui s’effacent pour un jaune ocre en haut. Un feuillage vert, noir et rouge soutient des fleurs vives et puissantes.

Des séductrices qui feignent l’immortalité.

Exalter la vie et l’amour, faire de la mort un souvenir à vivre. 

Le temps retrouvé.

Élégamment. 

Jean-François Hubert