Boi Tran, « Élégantes de Hué », 2015, ou l’échange obligé de la distinction contre la fatalité
En 1975, si toute la région de Hué retrouve le silence, les plaies sont là, béantes. Charnière entre le Nord et le Sud, elle n’a pas cessé pendant la guerre civile, de subir bombardements et combats.
Martyre et Apocalypse.
Que faire quand on n’a plus rien ? Pas même une photo de son enfance. Qu’on a côtoyé, depuis l’enfance, la mort, insistante, âpre, qui vous a déjà arraché des êtres chers ?
Ne pas subir. Jamais. Ne jamais se plaindre.
Au Vietnam, tous ont fait la guerre. Tous ne l’ont pas gagnée.
Plus tard, après les privations, progressivement, écouter à nouveau le chant des oiseaux, boire un thé vert, subir doucement la pluie et s’occuper des siens. Rendre hommage à son fils disparu bien trop tôt et sourire.
Toujours sourire. En fière descendante, à la 18ème génération, du généralissime Phan Quang Minh (1350-1454) originaire du Ha Tinh et de celui de ses 6 fils, Phan Huu Gia, qui s’installa juste au sud de ce qui n’était pas encore Hué, en 1438.
La peinture, comme un mantra. Toujours les mêmes personnes, les mêmes gestes, le même jardin. Un credo sans liturgie.
Notre majestueuse laque décrit 7 (pas 8…) jeunes femmes en ao dai.
Charmeuses par leur distance savamment entretenue, et non par leur volupté affichée comme chez Nguyen Trung, le maître de Boi Tran. Plus introverties, presque austères, fondues dans la végétation.
Au loin, sur la gauche, une nha san, cette maison de minorités que l’artiste sauve de la destruction. Plus loin à droite, une nha ruong, maison traditionnelle kinh, toute de bois comme la précédente. Et la porte du jardin.
À Hué.
Un monde clos, dans les collines.
La distinction, l’arme absolue contre la fatalité.
Comme le partage d’une parcelle d’éternité.
Jean-François Hubert